Retour sur le week-end de formation en nivologie et conduite de courses sur le terrain (Janvier 2015)

Bertrand Gentou (guide, adhérent FSGT) a proposé cette année-ci à nouveau une formation à la connaissance de la neige et de ses dangers aux membres de la FSGT, une initiative louable qui concerne les adhérents qui s'intéressent au ski de randonnée. La formation a duré 3 jours, et nous (une demi-douzaine de garçons de bonne humeur) avons été encadrés par Bertrand Gentou et Damien Pesce (encadrant FSGT).

Dans ce cadre, ont été vus ou revus les différents outils pour tenter de comprendre la neige et pour se prémunir contre le risque d'avalanche. Bertrand Gentou soulignait que : « Le B.E.R.A. (bulletin d'estimation de risque d'avalanche), ne suffit pas du tout à évaluer le risque d'avalanche sur le terrain ». Des explications sur le comportement du manteau neigeux ont dès lors été développées au cours de ces trois journées. Elles n'auront de sens que pour les personnes qui sont formées pour les entendre, aussi n'est-il pas évident ou adéquat de les reproduire ici. Je peux néanmoins revenir sur le déroulement de ce week-end aussi instructif qu'agréable, tout en incitant toute personne qui souhaite s'aventurer hors des pistes et à peaux de phoque à profiter à son tour de cette opportunité, incontournable en ce début de saison qui rappelle, avec ses douze morts en avalanches rien que dans les Alpes du Sud et quelques morts à Chamonix à la fin du mois de janvier, l'importance de la prudence et d'un apprentissage progressif, sûr et réfléchi.

Comme les autres guides et randonneurs expérimentés, Bertrand a rappelé les différentes techniques employées pour évaluer localement le risque d'avalanche. La méthode « 3 fois 3 » relève de la préparation tout autant que de la prise de décision lors de la conduite d'une course. Elle a été promue par Werner Munter[1]. Des méthodes semblables se déclinent dans les différentes formations européennes. Elle prend en compte différentes données, abordées avec une méthode proposée par Munter, le « Nivo-check », qui vise à évaluer rapidement le niveau de danger. Entrent ensuite en compte d'autres facteurs comme la quantité de neige fraiche qui transforme considérablement les risques, la déclivité de la pente, le nombre et les compétences des skieurs, leur respect des distances de sécurité lorsque cela est nécessaire, et le maintien « d’îlots de sécurité » en situation dangereuse.

Le débat afférent à cette formation concerne ainsi sa simplification, qui vise l'efficacité. Constatant que les recherches sur le comportement du manteau neigeux n’apportent pas grand chose dans les pratiques, cette « règle de trois » propose une optimisation des risques en fonction du degré de dangerosité établi par les bulletins météorologiques.

Bertrand Gentou a rappelé qu'en France, la méthode de Munter a été relayée sous une forme modifiée par l'Ecole Nationale de Ski et d'Alpinisme (ENSA) et le syndicat national des guides de haute montagne (SNGM). Il a expliqué « qu'Alain Duclos[2], formateur à l'Ecole Nationale de Ski et d'Alpinisme a proposé une nouvelle méthode d'évaluation du risque local qui n'oriente pas le pratiquant vers une conduite binaire. En effet, l'utilisation de la méthode Munter à l'ENSA conduisait paradoxalement à des conduites à risque : “C'est bon, on y va sans prendre de précautions, c'est pas bon, on n'y va pas”. En fonction d'indicateur simples évalués sur le terrain, sa grille propose 4 modes d'évolutions sur le terrain. Cette méthode permet de mieux ajuster le niveau de précaution au niveau du danger ».

Nous avons alors vu ou bien revu de nombreuses techniques physiques comme d'évaluation des situations, et réalisé différentes coupes. La situation nivologique était particulière en ce début de saison difficile, marquée comme l'a décrit Bertrand dans son rapport : “par un manque de neige et en même temps un manteau très stratifié dû aux nombreux coups de vent et aux périodes de redoux marquées. C'est un manteau piégeur comme les accidents de la semaine qui a suivi l'ont montré.”

La formation s'est constituée selon un planning cohérent, fruit d'une précieuse expérience. Le premier jour, nous avons mené de premières observations sur le manteau neigeux, et fait une simulation de recherche multivictimes au moyen d'ARVAS enterrés à plus de 50 centimètres les uns des autres, et fait une première observation de coupes. Nous nous sommes rendus pour ce faire depuis route du Jaillet à Megève au Petit Croisse Baulet, que je décrirais, au risque de me tromper, comme un sommet emblématique de la région qui permet de skier quand la neige ne permet guère de se rendre ailleurs. Après avoir redescendu une pente à 30 degrés, une seconde montée a satisfait notre appétit de dénivelée, et nous y sommes arrivés sans encombres, Bertrand ayant méticuleusement emballé les peaux de phoque qui se décollaient avec du scotch américain. Une touche technique : les peaux collent moins qu'auparavant, pour une raison simple. Les normes concernant les colles sont devenues plus strictes, et depuis lors les colles sont moins cancérigènes. C'est un pas en avant pour les conditions de travail dans l'industrie, qui induit quelques adaptations pour ne pas faire de pas en arrière à la montée quand on remet les peaux. Mes peaux toutes neuves en ont été l'illustration.

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Cela a été ensuite à notre tour de préparer la sortie suivante, à partir des éléments de la méthode 3X3 qui nous avaient été enseignés au préalable. Nous avons lu les cartes, identifié les passages problématiques, et le jour suivant avons mis en pratique la réflexion préétablie, après avoir réappris que des chaînes doivent être surveillées, l'une d'elles nous ayant sagement attendu sur le parking où elle avait été mise : la neige vient de se joindre à nous, et les trente centimètres qui viennent de tomber sont inespérés. Nous faisons une nouvelle coupe et la neige s'avère stable, quoique Bertrand nous met en garde sur la relativité de ces informations. Le temps n'est pas au beau fixe, et des réflexes de sécurité sont adoptés. Nous atteignons le col après avoir constaté que le manteau redevenait instable, non sans voir se déclencher une plaque, de taille très réduite, sur les 30 centimètres de neige fraiche. Le soir, un verre avec les fondateurs de la FSGT de Chamonix, anciens parisiens, et quelques nouveaux membres, est l'occasion de discussions sympathiques. Puis nous ne sacrifions pas au rituel du fromage fondu sur patates chaudes avec vin blanc, lardons et oignons... toujours aussi efficace quand on randonne son millier de mètres quotidien. Cela discute bien sûr de skis et de l'incontournable débat entre performance à la montée et skiabilité à la descente, et l'étude comparée des marques de planches, de fixations et de chausses, masque les bruits de la fête d'anniversaire qui se trame deux étages plus haut. Ah l'inénarrable karaoké du « Conamara »...

Il fait beau le dernier jour, et nous partons, après avoir dû mettre à nouveau les chaînes au minibus (nous faisons des progrès, et le bus a d'ailleurs failli s'en passer, mais le rapport de vitesses élevé, bien efficace dans la neige, n'a pas suffi), du Reposoir en direction de la Roulettaz, non loin de la fameuse aiguille Percée dont nous ne verrons pas le chas depuis notre versant. Bertrand constate alors que « ces pentes sont intéressantes car elles offrent de nombreuses petites bosses à 30° qui obligent à s'adapter au terrain. » Et il nous fait remarquer que le vent s'est mêlé à la partie. Nous retrouvons le manteau stable à basse altitude et un manteau dont le vent à conforté le caractère instable, qu'il a d'ailleurs dessiné, à haute altitude. Stries et accumulations sont bien présentes, et deux dernières coupes effectuées après notre arrivée à 2100 mètres font varier la hauteur neige et le danger, entre un demi-mètre d'un côté et un mètre vingt de l'autre. La descente est agréable, tout comme le retour sur Paris au terme d'un long week-end bien rempli.

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Crédits photos  : Bertrand Gentou (merci à lui!)

 

 


[1] Munter Werner, 2003, 3 X 3 Lawinenrisiko management in Wintersport, Pohl & Schellhammer. 

- 1992, Le risque d’avalanchenouveau guide pratique, Bern, Éditions du Club Alpin Suisse, 200 pages.

[2] Alain Duclos est notamment l'auteur du site http://www.data-avalanche.org